34- Pot de terre contre pot de fer
Le pot de terre et le pot de fer

Jean de La Fontaine
Le Pot de fer proposa
Au Pot de terre un voyage.
Celui-ci s'en excusa,
Disant qu'il ferait que sage
De garder le coin du feu :
Car il lui fallait si peu,
Si peu, que la moindre chose
De son débris serait cause.
Il n'en reviendrait morceau.
Pour vous, dit-il, dont la peau
Est plus dure que la mienne,
Je ne vois rien qui vous tienne.
– Nous vous mettrons à couvert,
Repartit le Pot de fer.
Si quelque matière dure
Vous menace d'aventure,
Entre deux je passerai,
Et du coup vous sauverai.
Cette offre le persuade.
Pot de fer son camarade
Se met droit à ses côtés.
Mes gens s'en vont à trois pieds,
Clopin-clopant comme ils peuvent,
L'un contre l'autre jetés
Au moindre hoquet qu'ils treuvent.
Le Pot de terre en souffre ; il n'eut pas fait cent pas
Que par son compagnon il fut mis en éclats,
Sans qu'il eût lieu de se plaindre.
Ne nous associons qu'avecque nos égaux.
Ou bien il nous faudra craindre
Le destin d'un de ces Pots
Jean de La Fontaine
La définition de l'expression "pot de terre contre pot de fer" veut dire qu'il y a un combat inégal face à quelqu'un ou quelque chose de bien plus puissant, dont l'issue gagnante du plus fort semble inévitable.
C'est l'histoire de David et Goliath dans un rapport de force entre petit et grand. Il peut s'agir d'une simple citoyenne qui fait une grève de la faim pour revendiquer son droit à l'avortement contre un régime qui le lui interdit, un journaliste qui veut dire la vérité contre une dictature. C'est l'histoire du riche contre le pauvre, du puissant contre le faible, de l'agressé contre l'agresseur, d'une victime contre un système défaillant.
L'allégorie du pot de terre contre le pot de fer prévient d'éviter les gens qui sont trop différents de soi ou de se méfier d'une alliance avec des personnes où la force est inégale, car le risque est de compromettre son indépendance et sa sûreté, de se retrouver sous emprise ou éliminé. Selon La Fontaine, les deux pots ne pourraient pas vivre ensemble sans mettre en danger le plus faible.
Allégorie est un mot que j'ai confondu durant des années avec métaphore. Voici sa définition prise sur Wikipédia :
Le terme allégorie (du grec : ἄλλος / állos, « autre », et ἀγορεύω / agoreúô, « parler en public ») consiste à exprimer une pensée sous une forme imagée afin de faire comprendre, sous le sens littéral, un autre sens, qui est celui visé par le texte. Les deux sens doivent se maintenir de façon cohérente dans une allégorie.
Chez les théoriciens anciens, l'allégorie était souvent confondue avec la métaphore1. Alors que la métaphore porte sur un seul élément, l'allégorie porte sur une pluralité d'éléments organisés dans une syntaxe. Elle est donc « un système de relations entre deux mondes » ou « la mise en relation, sur le mode analogique, de deux isotopies plus ou moins détaillées ».
Quintilien distingue « l'allégorie totale », qui n'explicite aucun de ses éléments, telle la parabole, et « l'allégorie partielle » ou explicite, qui est la forme normale, car elle laisse entrevoir le sens profond qu'elle enferme.
Pour Jon Whitman, en raison du travail cognitif qu'elle requiert, l'allégorie est une sorte de « discours secret et de discours raffiné que le peuple ne peut ou ne mérite pas d'entendre, c'est-à-dire de langage réservé à l'élite ». En imposant la recherche d'un sens caché — notamment dans les fables —, l'allégorie a été décrite comme « la figure universelle par laquelle le genre humain tout entier entre dans l'ordre intellectuel et moral ».
Outre un mode d'expression figurative, le mot allégorie peut aussi désigner le travail d'interprétation du lecteur7, aujourd'hui surtout appelé allégorèse ou exégèse allégorique.
En tant que moyen de contourner la censure, l'usage de l'allégorie est très répandu au cours des époques dogmatiques ou sous les régimes autoritaires, mais tend à s'affaiblir à l'époque contemporaine8.
En peinture et en sculpture, l'allégorie utilise une conjonction d'éléments symboliques — personnage, animal, plante, objet, geste, couleur, nombre — pour signifier une notion abstraite difficile à représenter directement, comme la Justice, l'Amour, la Mort.
L'expression "Il y a ceux qui ont du pot et ceux qui n'en ont pas" est certainement tirée de l'allégorie de la terre contre le fer.
Parfois, la puissance et la fragilité doivent partager ensemble un moment de vie, parce que l'erreur est humaine, parce que l'on a été piégé, parce qu'on ne savait pas, parce que la rencontre était hasardeuse, parce qu'elle a été forcée. Le pot de terre, si fragile, finit par se dire : "À quoi bon se défendre si la justice refuse de m'écouter ?" Quand la lutte est sans espoir, le pot de terre en a marre, à l'image d'une personne en fin de vie face à un acharnement thérapeutique.
Quand le pot de terre décide de partir, d'aller voir ailleurs y chercher un peu de poésie qu'il préfère au métal ou pour trouver une solitude plus tranquille qu'un chemin à deux qui le fait souffrir, le pot de fer s'impose et insiste en tentant de s'approcher encore, harcelant le pot de terre, jusqu'à ce que le briser, car trop sensible au choc. C'est ce qu'il se passe lorsqu'un ex qui est possessif refuse que sa compagne le quitte et qu'il préfère la blesser ou la tuer plutôt que de l'aimer de loin. Cette expression mériterait de devenir un synonyme de lutte contre les féminicides.
La leçon à tirer est qu'il vaut mieux éviter de se compromettre à cause de personnes dominantes ou usant de pouvoirs dans l'injustice et dont on serait bien incapable de s'en défendre.
Mais que le pot de fer n'oublie jamais que sans le pot de terre, il n'existerait pas, car c'est de la terre qu'est sorti le fer. Que le fer n'oublie pas qu'il est facilement dégradable par les différents agents extérieurs de la terre, comme l'oxyde ou le sulfure.
Aujourd'hui, "comme par hasard", une dame me raconte quelques problèmes de santé qu'elle a eus dans un hôpital. Après une césarienne, son ventre était gonflé comme une baudruche et lui faisait mal à en pleurer. Le personnel lui disait que ce n'était rien, que c'était normal, mais grâce à l'insistance de son père, on découvrit qu'un tuyau mal mis faisait se déverser ses urines à l'intérieur de son ventre. "Pot de terre contre pot de fer dit-elle "comme par hasard", alors que j'ai écrit cet article au trois quarts hier. Elle me parla d'une autre personne morte d'un cancer de la vessie suite à une infection qui durait depuis dix ans, mais où la gynécologue lui disait "que ce n'était rien". Quand à cause d'un accouchement compliqué, elle eut l'utérus rétroversé et qu'elle lui parla de ses douleurs, le médecin lui conseilla de demander à son conjoint de taper fort par-derrière, pour tenter de le remettre droit. Conseil d'un gynécologue macho qui ne prend pas au sérieux la parole d'une patiente en souffrance.
Si une personne est le sujet d'étude d'une expérience à multiples variables et qu'elle s'en rend compte, elle aura beau s'en plaindre, les pistes seront brouillées au fur et à mesure et mis sur le compte de l'expérience, jusqu'à, s'il le faut, que le cobaye perde la tête. Pot de terre contre pot de fer lorsqu'il s'agit d'une personne contre tout un réseau clinique. Mais que le pot de fer n'oublie pas qu'il y a des chercheurs de vérité qui ne lâche jamais l'affaire et qui lutte contre les corrompus. Même un médecin qui sauve des vies tous les jours est une personne corrompue si par manque d'éthique, elle fait des expériences sans le consentement éclairé de son patient. C'est ainsi que l'expression est devenue synonyme de lutte contre les inégalités et l'injustice.