82 - Le Job de Satan (1)
Quel est le job de Satan ?
Qui est le Job de Satan ?
Qui sont les Job de Satan ?

Job est un patriarche de l'histoire biblique, dans son premier testament. Son histoire nous raconte une épreuve extrême : perte, confusion, solitude et sentiment de dépossession. Dans ce récit, ce qui attire notre attention n'est pas seulement la souffrance, mais la manière dont elle agit sur la conscience. Job n'est pas seulement un être éprouvé : il est le miroir de toute expérience où nous nous sentons impuissants, manipulés ou emportés par des forces que nous ne comprenons pas.
L'image de Satan, ici, n'est pas un jugement moral ni un acteur surnaturel, mais la métaphore de ce qui crée en nous la confusion, la culpabilité et l'illusion de la responsabilité. Il symbolise les mécanismes qui nous dépossèdent de notre liberté intérieure : ce que nous acceptons sans nous questionner, ce que nous interprétons à notre détriment, ce qui nous enferme dans le regard d'autrui.
Observer ces forces, c'est déjà commencer à reprendre contact avec notre centre. C'est regarder, sans se juger, la manière dont notre souffrance nous transforme et peut-être, nous révèle quelque chose de plus vaste sur nous-mêmes et sur le monde qui nous entoure.
C'est à la suite d'une réflexion d'une philologue analyste que j'ai commencé à me questionner sur la pathologie de Satan, souvent perçu par les croyants comme le principal responsable de tous les malheurs terrestres, et même célestes, puisque c'est dans les cieux qu'il a mis au point son infâme complot visant à tourmenter le personnage biblique de Job.
Simone Korff-Sausse, a écrit ceci :
"Je n'ai jamais rencontré de pervers narcissique dans mon cabinet d'analyste. Par contre, j'ai eu à plusieurs reprises des patientes (en psychothérapie ou en analyse) qui étaient des femmes de pervers narcissiques. Et à chaque fois, j'ai été interpellée par l'impact de la pathologie de ce conjoint, aussi bien sur la personnalité de la femme que sur le cours et le contenu de la thérapie. Avec elles, ce personnage - redoutable ! - est entré d'une certaine façon dans mon cabinet. Pendant un temps assez long, il n'était question que de cet homme. Même si j'ai toujours pu éviter qu'il intervienne pour de vrai dans la prise en charge, le pervers narcissique était diablement présent dans la cure. Ce sont des thérapies où il est impossible d'aborder d'emblée le conflit intrapsychique avec la patiente, car celle-ci - "femme sous influence" - est complètement prise dans une relation interpsychique aliénante, dont il lui faut se dégager avant de pouvoir envisager un traitement plus classique d'élucidation des contenus inconscients. C'est de ce premier temps (qui peut être extrêmement long, étant donné la ténacité des identifications primaires et la force du masochisme) dont je veux parler."
Le tableau clinique de Satan suggère une relation d'emprise, comme celle d'un être humain sur un autre. Certaines personnes évoquent la notion de possession. En 1981, le psychiatre Roger Dorey la décrivait comme une « action d'appropriation par dépossession de l'autre ». C'est assez stupéfiant, ce n'est plus une histoire de possession, mais de dépossession…
Le nom de Job
JOB se prononce « Iyyob » en hébreu et désigne la « haine » ainsi que la « racine ». Le nom porte en lui toute l'ambivalence du personnage, reflétant à la fois la souffrance et l'injustice qu'il a subie, ainsi que la croissance intérieure (la racine qui pousse dans la terre brûlée).
Archétype d'un homme « juste » persécuté, il est symboliquement un arbre d'endurance, qui tient bon sous la tempête, qui est patient et persévérant face à l'adversité. Les Hébreux voient Job comme un innocent injustement frappé. Les Araméens et les Arabes disent de lui (Ayyub) que sa patience est sacrée et qu'il est un « patient » aimé de Dieu. Quant aux mystiques, ils le regardent comme un phénix qui renait de ses cendres, comme un germe qui survit malgré tout.
Job est à la fois celui que le monde a rejeté et celui qui est resté debout. Il est à la fois celui qui a combattu et celui qui a ressuscité, tout comme Jésus.
Les cinq plaies de Job ou les étapes d'évolution de la conscience
1. La perte du monde extérieur ou la détresse de la dépouille
Satan, l'accusé, avec l'autorisation d'un « parrain », anéantit tout ce qui donnait à Job son équilibre. Il détruit son gagne-pain, sa famille, sa lignée, tout ce qui représente la continuité et la fécondité. Il organise le vol de ses troupeaux (bœufs, ânesses, brebis, chameaux) par des pillards. Vous pensiez qu'il agissait seul le lascar ? Il est intéressant de noter que la disparition des ânesses de Job et la quête de Samuel pour retrouver son ânesse ont finalement abouti à un résultat similaire : les deux sont devenus prophètes.
Donc Satan assassine ses serviteurs, puis, juste après une tempête, il fait s'effondrer sur ses dix enfants la maison qui les abritait.
- La mort de l'illusion de sécurité : c'est la première cassure qui fait voler en éclats l'illusion selon laquelle la valeur d'une personne dépend de ses possessions. Job perd sa richesse, son statut et tous ses biens. Les façades de la stabilité s'écroulent, ainsi que le moi social.
- L'identité symbolique et affective est touchée : avec ses enfants qui meurent, sa lignée, sa descendance et le prolongement du soi dans l'avenir s'efface. Le "moi" ne peut plus se projeter demain.
Sa conscience se développe spirituellement en réalisant que l'homme n'a pas besoin de se définir par ses possessions. Cela ne veut pas dire qu'il faut vivre comme un pauvre, mais qu'à certains moments, la légèreté du vide peut rappeler la valeur de l'être. L'âme apprend la fragilité du lien humain, son impermanence et le deuil devient un passage où le message enseigne à aimer sans posséder et à donner sans attendre en retour.
2. Les souffrances physiques ou le passage du corps possédé au corps habité
Pour le châtier « de sa fidélité », Satan assaille le corps de Job, qui devient un véritable théâtre de guerre : ulcères purulents, plaies douloureuses de la tête aux pieds, démangeaisons, douleurs constantes, insomnie, amaigrissement, défiguration.
Job sait que toute créature vivante qui s'incarne dans la chair est destinée à mourir. La vie n'est pas éternelle et elle n'est pas juste non plus. Son corps devient un lieu de souffrance, un temple fissuré.
- Conscience que la matérialité de l'existence est un passage et non une finalité.
- Passage entre le corps possédé et le corps habité.
3. L'abandon et la solitude ou la traversée du désert intérieur
C'est sur le plan de la relation, du narcissisme et du psychisme que l'impact se fait sentir. Ses « amis » sont venus pour le consoler, mais ont fini par le blâmer et l'accuser d'avoir commis des fautes. Ils l'ont jugé parce qu'il a tout perdu. Même l'omniprésent Divin semble se taire et s'éloigner.
- Lorsque la solitude atteint son apogée, il n'y a plus d'humanité pour refléter notre âme ni de compassion pour apaiser notre douleur. La conscience ne peut s'appuyer sur aucun témoin.
- C'est le pire des maux : un isolement moral et spirituel. Job n'a plus de témoin, plus de sens, plus de réconfort divin pour l'aider à surmonter son épreuve.
C'est ici que prend racine la conscience authentique, qui n'a plus besoin d'être vue pour exister. Job apprend à se tenir droit seul, sans témoin, dans le calme de l'être. Il laisse derrière lui sa dépendance émotionnelle et s'engage sur la voie de la maturité spirituelle.
4. Les souffrances psychiques et existentielles ou le silence de Dieu
Job se met en colère. Il est désespéré et complètement désemparé : « Pourquoi un Dieu juste permet-il l'injustice ? » Il est également pertinent de souligner une similitude avec la prière de Jésus : « Père ! Pourquoi m'as-tu abandonné ? »
Job s'interroge sur la justice divine et le sens de l'existence. Il vit l'absence de réponse de Dieu comme la pire des souffrances.
- La dimension spirituelle et métaphysique est touchée : La douleur devient spirituelle.
- Job fait l'expérience du vide sacré, de l'absence du père. Les mystiques appellent cela "la nuit de l'âme"
Le message se situe non pas dans le rejet mais dans l'initiation à la conscience autonome. Job doit cesser d'être comme un enfant qui attend tout de Dieu. Il devient un fils conscient, celui qui ne croit plus parce qu'il a peur, mais parce qu'il comprend, car Dieu ne console pas : il élève.
5. La révélation finale ou la naissance de la conscience éveillée
"Mon oreille avait entendu parler de toi, mais maintenant, mon œil t'a vu."
Job n'a pas seulement subit une série de catastrophes. Il a traversé les couches de l'existence humaine, qui vont du monde matériel à la divinité silencieuse, pour ensuite renaitre dans la lucidité spirituelle.
Quand Dieu « parle » enfin, ce n'est pas pour expliquer, mais pour révéler l'immensité du mystère. Job perçoit alors l'ordre vivant derrière le chaos, car après avoir traversé l'abîme, il « voit ». Il comprend alors la grandeur de ce qu'il ne sait pas, non pas par soumission, mais par éveil.
- Grâce à l'évanouissement de son égo, son regard est plus clair et son être plus transparent. Son esprit est en harmonie.
- Job recouvre la santé, ses enfants, ses biens, et surtout une tranquillité d'esprit inédite.
- Il n'a pas retrouvé Dieu, il l'a plutôt perçu d'une manière différente.
C'est donc un retour à la lumière, mais pas à l'innocence : Job est devenu conscient.
C'est en se libérant de sa soumission envers Dieu que Job devient véritablement son fils et son prophète. Cela ne veut pas dire qu'il faille ignorer les commandements vitaux, tels que le célèbre « tu ne tueras point », mais qu'il ne faut jamais glorifier le mal ni commettre de méfaits en invoquant le nom de Dieu.
La fracture entre le mérite et le malheur
1. Emprise, dépossession et souffrance
Job est complètement dépossédé par une puissance extérieure : tous ses biens, ses enfants et même sa santé lui sont retirés. Il subit une dépossession massive. D'un point de vue psychologique, c'est le syndrome de la victime, qui perd tous ses repères, son contrôle et son sens. Du point de vue spirituel, il vit une expérience de l'exilé extérieur, tels un migrant ou un mendiant : son ego, qui lui apportait sécurité et maîtrise, est mis à défaut et Job est poussé à revenir à l'essentiel.
Le drame de Job est marqué par une emprise autant spirituelle que psychologique :
- Bibliquement : Satan le désapproprie et le dénude pour tester la solidité de son lien divin.
- Psychologiquement : Job est victime de manipulation mentale et souffre d'isolement, de confusion, de dépréciation et d'une perte de contrôle.
- Socialement, Job perd son identité, se voyant dépouillé de son moi social, moral et familial.
- Spirituellement : Job expérimente un désert mystique où son ego s'estompe, révélant ainsi son être véritable. "Satan dépouille, mais Dieu révèle."
Dans une société qui valorise la performance, le contrôle et le succès en valeurs suprêmes, Job incarne un véritable scandale vivant. Il symbolise l'absurdité qui persiste, préservant ainsi la foi, face à une douleur dénuée de sens. Cette souffrance ne remplit aucune fonction éducative ou corrective, elle est juste douloureuse et incompréhensible. À l'ère du trauma et de l'angoisse existentielle, Job rejette les récits consolateurs, mais dans sa grandeur, il ne succombe pas au nihilisme et continuer à parler à Dieu, jusqu'à le défier. Il préserve le contact, alors que d'autres opteraient pour le silence ou l'ironie. Sa foi survit, même si elle est sans garantie, car sa spiritualité est dépouillée de tout dogme.
Le message spirituel par excellence est : résister sans détruire et douter sans désespérer.
2. Le combat de la conscience ou le rejet de la victimisation acquiescente
D'un point de vue spirituel, Job devient le miroir de notre conscience moderne où des hommes et des femmes cherchent du sens dans un monde qui semble parfois n'en avoir aucun. Ancêtre de la conscience tragique : il sait que la vie n'est pas juste, mais il continue quand même à chercher la lumière. Cela nous enseigne que la vérité spirituelle ne se trouve pas dans la certitude, mais dans la fidélité à la quête, même si celle-ci se vit dans la révolte, le cri ou le silence.
Précurseur de Nietzsche avec le refus des morales simplistes, de Camus avec la révolte face à l'absurde et de Levinas avec la fidélité à l'autre malgré l'absence de réponse, Job est le témoin d'une sagesse paradoxale.
En refusant les explications simplistes de ses amis qui l'incitent à croire qu'il souffre parce qu'il a commis un péché, Job se positionne en précurseur du mouvement existentialiste. « Pourquoi le juste souffre-t-il ? » Ses questions montrent une foi adulte et lucide, qui accepte de ne pas tout comprendre, tout en continuant d'aimer et en refusant le mal qu'on lui fait.
Les amis de Job, en suivant la doctrine morale traditionnelle de la rétribution, l'enferment dans un sentiment de culpabilité en lui faisant porter la responsabilité de sa souffrance. Job rejette cette forme de victimisation passive qui consiste à accepter la faute pour retrouver sa place. Il résiste à la corruption morale qui prétend que « tu as mérité » cela. Job refuse de se soumettre à la paix fallacieuse imposée. Sa résistance est profondément spirituelle. Job ne se tait pas : il crie, il interroge, il réclame une explication, devenant ainsi le premier homme à s'opposer à la confusion entre la justice divine et la fatalité morale.
- Psychocriminologiquement : les amis de Job incarnent la société normative qui veut toujours "trouver un coupable".
- Existentiellement : Job devient un sujet de vérité morale moderne qui défend sa vérité intérieure contre la morale collective.
- Spirituellement : La foi de Job est lucide et non servile. Sa prière devient un cri et non une soumission.
Cela nous amène à nous interroger sur le nombre de souffrances emballées dans ce « tu l'as bien cherché » tacite ou explicite qui jalonnent nos existences. Combien d'entre nous choisissent de dépasser cela en disant non à l'aliénation de la culpabilité ?
3. Le trauma : s'effondrer ou transcender
Job fait le procès de Dieu. Il refuse la logique punitive et appelle Dieu à comparaitre. Il exige une explication et une justice qui rende compte de l'injustice. Mais quand Dieu répond, Sa justification n'est pas rationnelle. Il répond par le vertige du cosmos : "Où étais-tu quand je fondais la terre ?"
Ce que je comprends, c'est que notre Dieu a beau être le plus beau, le plus gentil, le meilleur, à l'instar d'un parent, peut-on lui en vouloir de n'avoir pas pu empêcher un diable de nous faire du mal ? L'histoire raconte que ce diable n'a fait qu'exécuter l'approbation de celui qui nous aime. C'est une manipulation terrible ! Dans notre ère moderne, c'est comme si celui qui vous avait drogué et violé insinuait que c'est quelqu'un que vous respectez qui avait commandité cela... C'est sadique. Ce diable se réjouit alors de notre souffrance.
- La question de Dieu n'est pas posée pour humilier, mais ouvre à la complexité de l'histoire et invite à la percevoir autrement.
- D'un point de vue spirituel, l'ordre du monde dépasse la causalité morale humaine.
Le récit de Job est une métaphore du traumatisme profond : un sujet stable, droit, subit un effondrement radical.
- Psychologiquement : il traverse le trauma sans le refouler. Il l'habite et devient ainsi un sujet en reconstruction.
- Spirituellement : il trouve dans la kénose (le dépouillement), la, possibilité d'une révélation non pas du pouvoir de Dieu, mais de sa présence.
- Philosophiquement : La douleur perçu comme un châtiment se transforme en un passage non pas à expliquer, mais à traverser.
Il est clair que la véritable profondeur du monde se trouve dans son mystère insondable, car ce n'est pas parce que le monde est énigmatique qu'il est dépourvu de sens.
La guérison d'une personne ayant subi un traumatisme nécessite une expansion de sa conscience. On ne redevient jamais « comme avant » ; on revient « autrement » avec une compréhension accrue de la fragilité et de la valeur de la vie. Une expérience tragique peut être assimilée, transcendée par une puissance mystérieuse qui nous incite à persévérer dans notre existence.
La fin du syndrome de Stockholm spirituel
1. La parole de Job, symbole de celle des victimes
Les personnes victimes de violence se retrouvent dans un monde sans règles, comme Job, dans lequel la loi semble absente lorsqu'une personne est maltraitée. Malheureusement, les lois ne sont pas omniprésentes ni appliquées automatiquement. Par conséquent, les victimes voient s'effondrer leurs points de repère les plus fondamentaux en matière de sécurité : leur corps, leur voix, leur confiance et leur lien avec les autres. C'est une perte totale d'ancrage. Beaucoup d'entre elles ont même oublié qui elles sont en dehors de la souffrance qu'elles endurent. Leur identité se déconstruit, souvent de manière graduelle et invisible.
Job est la voix des personnes qui ne sont plus entendues :
Job 3.11 : « Pourquoi suis-je sorti du ventre de ma mère ? »
C'est ce que pourrait dire une victime en état de sidération quand la vie elle-même semble se transformer en agresseur.
La parole de Job représente celle des gens qui souffrent, qu'elle soit justifiée ou non, et aussi celle des victimes d'injustices. Bien que Job soit innocent, il est malheureusement accusé, suspecté et sommé de se taire, de supporter et de justifier l'injustifiable.
Ce qui rend Job universel, c'est qu'il refuse de se soumettre au silence imposé. Il continue de s'exprimer, d'exprimer sa détresse, sa colère, son incompréhension. Il ne proclame pas la supériorité du mal, il n'affirme pas que « tout est bien parce que cela vient de Dieu ».
Ainsi, la voix de Job devient celle de toutes les victimes ignorées :
- Celles que personne n'écoute.
- Celles que l'on juge à la place de consoler.
- Celles à qui l'on répète que le coupable bénéficie d'une sorte de clémence, voire de justification.
- Celles que l'on pousse à pardonner avant même que leur souffrance ne soit reconnue.
Job s'oppose à cela. Il refuse le syndrome de Stockholm spirituel, qui incite à ressentir de l'amour pour celui qui détruit. Il rejette l'idée selon laquelle il faudrait « accepter le mal pour être bon ». Cependant, dans sa protestation, Job énonce une vérité fondamentale : il est possible d'aimer Dieu sans excuser la violence.
La grande victoire de Job n'est pas la patience résignée, ce n'est pas non plus d'avoir tout accepté. Sa victoire réside dans son authenticité. Il est resté vrai dans la douleur, vrai dans l'injustice, vrai dans la demande sens. Et c'est parce qu'il est resté vrai que Dieu lui répond enfin. Non pas en lui donnant tort ou raison, mais en reconnaissant la force sacrée de sa parole vivante.
Les mots de Job étaient empreints de profondeur, reflétant sa détresse et son indignation face à l'injustice dont il était victime. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la souffrance de Job ne l'a pas rendu plus docile, mais plutôt plus conscient.
Ainsi, Job incarne les personnes opprimées qui regagnent leur dignité non pas en pardonnant coûte que coûte, mais en identifiant les atteintes subies, en rejetant la tromperie et en restant ferme face au mal.
La parole de Job n'est pas seulement un cri, mais un témoignage, un réquisitoire et une renaissance intérieure. Du dépouillement à la retrouvaille du soi, la parole jobienne devient un acte de libération.
2. La parole de la victime
- La victime ne parle pas pour se plaindre, mais pour attester du réel.
- Sa parole est longtemps interdite : par l'agresseur, par la société, la famille, le « Dieu qu'on lui a décrit ».
- La parole de Job est un cri de lucidité : elle brise la confusion, elle refuse la falsification.
- C'est en parlant qu'il se libère de l'emprise et redevient sujet.
- Et c'est seulement quand il parle vrai que Dieu lui répond.
La parole de la victime, à l'image de celle de Job, ne demande pas d'excuses ; elle réclame qu'on l'écoute. Elle devient alors un lieu de conscience qui refuse de se soumettre à l'injustice et qui s'élève. Après la chute vient la réintégration du réel et de soi. L'épreuve révèle l'ombre et la lumière, le divin et l'humain. Job ne croit plus à Dieu comme un garant du bonheur, mais comme une présence au-delà du sens. (Job 19:25 — Je sais que mon rédempteur est vivant.) Après avoir traversé la mort symbolique de son égo, il réinvestit alors la vie, mais avec un autre regard.
3. Le travail de l'ombre en pleine lumière
Selon Jung, ou du point de vue de la psychologie, ce qui est refoulé, nié ou ignoré se manifeste par une rupture. De nos jours, en l'an 2025, la société moderne met de l'avant la performance, le contrôle et le succès, ce qui a pour effet d'occulter la fragilité. Le mouvement #MeToo a entraîné un léger recul, mais cette goutte d'eau dans l'océan est une très grosse goutte qui continue de susciter des conversations animées…
L'histoire de Job nous pousse à examiner ce qui se cache derrière : nos craintes, nos dépendances et nos illusions de toute-puissance. Sur le plan psychologique, la perte de ses biens, la mort de ses enfants et ses problèmes de santé représentent la destruction des structures de son identité (travail, statut, reconnaissance). Job est dépouillé et se retrouve spirituellement appelé à « redonner sens » non pas à ce que nous avons, mais à ce que nous sommes : des êtres relationnels, vulnérables et profondément dépendants du « grand Mystère de la vie ».
La parole des Jobs de Satan n'est pas un cri d'impuissance, mais une lumière qui révèle que nul mal commis au nom de Dieu n'est bien venu.
***
Tandis que j'assistais à une conférence Zoom à laquelle j'avais été invitée, j'ai senti que les propos de la philologue Stéphanie Antonioz me confirmaient dans mes convictions. J'ai découvert avec joie qu'une autre personne partageait ma vision de l'histoire biblique affranchie de ses préceptes, cela me fera gagner du temps dans mes recherches. Par exemple, cette approche me permettra de mieux comprendre les jeux de mots allitératifs entre deux verbes conjugués en hébreu, ce qui aura pour effet de clarifier leur utilisation en grec, en arabe et en latin, comme la répétition du verbe « étendre » et le geste de la main. En s'interrogeant sur la main de Yahvé et celle de Satan qui partagent l'action de l'attaque sur la santé de Job, on peut se demander si l'on doit bénir Dieu pour le mal. À cet instant, j'ai établi un parallèle avec la criminologie.
Madame Antonioz nous apprend que la racine « nbl » signifie « folle ». Ce terme a donné par la suite les mots « noblesse » et « sagesse ». On doit noter que le sens d'une racine peut fluctuer au fil du temps et en fonction des diverses interprétations. Aucune racine linguistique ne suggère que Job loue Dieu, ce qui est en contradiction avec la notion de « piété » telle qu'elle est comprise dans les sources akkadiennes.
Quelques phrases de Mme Antonioz notées dans mon cahier :
- "Satan accuse Dieu d'avoir béni Job et propose de l'attaquer pour voir s'il louera encore Dieu après."
Je ne peux m'empêcher de penser à l'histoire de Jacob - si on enlève les lettres "ac", ça fait Job. C'est comme Abram qui est devenu Abraham. Jacob est celui qui a lutté contre Dieu (ou plutôt l'ange de Dieu) et lui a réclamé une bénédiction, selon les traductions." Et si l'histoire de Jacob était une autre version de l'histoire de Job ?
- "Le livre de Job interroge sur la réponse même au mal en tant que réponse rituelle et efficace au mal"
- "Pas de culte ni de dogme dans Job"
- "Les scribes mettaient en évidence leur message par leurs propres outils linguistiques".
- "L'essence même du langage est questionnée et la possibilité de comprendre un mot, une expression ou une phrase.
- "On ne peut pas penser "le mal" avec nos concepts à nous car c'est avec leurs outils qu'ils ont construit leur Dieu au singulier ou au pluriel."
- "Job, c'est la possibilité de ne pas louer son Dieu fait justice à la souffrance humaine. Peut-être Dieu approuve que Job ne le loue pas !" Job ne le loue jamais dans le texte !"
- "Job, c'est la possibilité de ne pas louer son Dieu fait justice à la souffrance humaine. Peut-être Dieu approuve que Job ne le loue pas !" Job ne le loue jamais dans le texte !"
C'est cette ultime phrase prononcée à la fin de la conférence, qui m'a interpellée et m'a poussée à écrire pendant tout le week-end sur « le Job de Satan ». Ce sujet est si vaste qu'il nécessite une trilogie pour être abordé adéquatement.
Références :
- Paul Tillich - Le courage d'être
- Martin Buber - Je et Tu.
- Viktor Frankl - Découvrir un sens à sa vie (logothérapie et sens dans la souffrance)
- Simone Weil - La pesanteur et la grâce (le malheur comme lieu de décentrement spirituel).
- Emmanuel Levinas - De Dieu qui vient à l'idée (Dieu comme altérité éthique, non comme justicier)
- Albert Camus - L'homme révolté (la révolte comme fidélité à l'humain)
- Marie Balmary - Le sacrifice interdit : la lecture psychanalytique des récits bibliques et la sortie de la soumission archaïque à la culpabilité..
- G. Jung - Psychologie et religion ; Réponse à Job (1952) : l'idée que Dieu confronte l'humain à son ombre pour qu'il devienne conscient.


