11- Les aiguilles du vice ou de la vertu

26/02/2023

L'art de la piqûre ou l'art du tatouage

Tous les professionnels ne sont pas artistes de leur art, 

mais les vrais artistes sont des professionnels.

Expérience vécue : Hier, je suis allée me faire tatouer. J'ai fait recouvrir une partie de mon passé, un mauvais souvenir que mon psychisme a suffisamment intégré pour que je puisse fermer sa porte en pleine conscience. La séance de tatouage a duré un peu plus de deux heures et s'est très bien passée. Je n'ai pas ressentie de douleur si ce n'est quelques picotements et une sensation d'être grattée. Pourtant, il y avait 15 aiguilles sur l'appareil ! Il y a 25 ans en arrière, lors du tatouage d'origine qui fut mon premier, j'ai eu mal et les larmes étaient dans mes yeux tout le long qu'a duré cette séance de piquage trop profond. Alors que je racontais ceci à la tatoueuse, au premier abord, sa pensée va pour le coté archaïque d'antan : pas le même genre de machine, moins d'aiguilles, moins de techniques aussi. J'avais donc prévenu la tatoueuse qu'en tant qu'hypersensible et douillette, il était possible que ce soit difficile pour moi et qu'elle voit quelques larmettes perler sous mes yeux.

Attentionnée, elle prit le soin de me prévenir au moment où elle allait commencer, et comme dit plus tôt, j'ai eu l'agréable surprise de ne pas souffrir. Automatiquement, je me mis à réfléchir sur le pourquoi du comment. Est-ce que c'est comme avec les piqûres des infirmières ? Fut une époque où je finissais en pleurs dès qu'on me piquait pour me mettre un cathéter sous la peau avant de passer un IRM et j'appréhendais toute prise de sang ou piqûre anti-coagulante. C'est simple, être piquée par une aiguille était une véritable séance de torture. Malgré mes douleurs, j'avais pourtant remarqué qu'il y avait des piqûres qui faisaient moins mal que d'autres et certaines qui faisaient plus mal que les autres... Était-ce une question d'inclinaison de l'aiguille ?

J'observais alors les infirmières pour vérifier le degré d'inclinaison de leur aiguille par rapport à ma peau : 30 degrés ? 25 degrés ? 5 degrés ? Pendant des mois, je m'étais mis dans la tête que c'était ça. Aussi, même chez le dentiste, j'essayais de savoir de quelle façon il piquait, espérant au plus profond de ma chair trouver une solution pour ne plus souffrir, car aller chez le dentiste était une hantise, plus à cause des piqûres que des soins en eux-même.

J'expliquais alors à ma tatoueuse que j'avais pu remarquer que de la même façon que tous les instituteurs ne sont pas fait pour l'enseignement scolaire s'ils n'aiment pas les enfants, il y a des dentistes qui ne devraient pas être dentiste car si certains ont à cœur de soulager leurs patients, d'autres prennent un plaisir pervers à leur faire mal.

Ma tatoueuse affirma mes propos en les étayant d'un effet similaire dans son milieu. Elle m'informa alors qu'elle connaissait des tatoueurs qui faisaient mal volontairement parce qu'ils aimaient ça.

Je m'étais demandée un jour si ce n'était pas un peu maso que de se faire tatouer. Je pensais surtout à ceux tatoués de la tête aux pieds et dans tous les recoins de leur corps ! Je croyais que se faire infliger sur la peau des douleurs pour un dessin devait être une sorte de rage à vouloir modifier une part profonde de soi que l'on accepte pas, qui n'est pas soi mais que quelqu'un ou quelque chose a modifié, par une étiquette symbolique de souffrance, invisible ou pas. Le tatouage devient alors une façon de se réidentifier. Il est une façon de choisir sa peau, une résilience pour s'y sentir mieux.

J'ai compris que tous les tatoués ne vont pas se faire tatouer pour se faire du mal, mais il y en a qui y vont pour ça, au moins en partie. De la même façon que tous les tatoueurs n'ont pas pour objectif de rendre le demandeur « plus beau ». Il y en a qui se moquent du résultat, tant que douleur et argent font la paire. Les tatoueurs sont comme les dentistes ou les infirmiers. Il y a ceux qui ne pensent qu'à la vitesse pour plus de rendement et ceux qui préfèrent prendre leur temps pour faire un travail de qualité. Ces derniers apportent un soin de peau en réparant psychologiquement, en recouvrant les cicatrices d'une opération, comme pour les femmes qui ont perdu un sein ou un téton ou comme pour moi qui voulait ne plus voir ce qui m'avait blessé, pour passer à autre chose.

Un vrai artiste sera professionnel dans l'attention, dans la technique. Il souhaitera non seulement être satisfait lui-même, mais encore plus que le client reparte heureux. Quelque part, c'est sa publicité qu'il ancre dans la chair d'autrui, c'est aussi un peu de sa personnalité.

Il y a 25 ans, celui qui m'a poussé à faire le premier tatouage m'a dit une fois qu'il était fini que désormais, même si un jour, je venais à le quitter, à le haïr, j'aurais toujours sa marque sur moi. Et elle m'a suivie dans la douleur « marquée au fer rouge » toutes ces années. Désormais, j'ai mis la mienne, que j'ai choisi, celle qui me représente plus, des roses animées de joie, grâce au talent de ma tatoueuse qui m'a piqué non pas avec une aiguille qui fait pleurer, mais avec quinze aiguilles qui non seulement ne m'ont pas fait pleurer, mais en plus m'ont redessinée une part de ma féminité perdue. Et tout ça en discutant de 1001 sujets !

Moralité : 

1) Toujours décider sous sa propre influence de ce qui va rester sur notre peau à vie. On ne se tatoue pas pour sa relation amoureuse car de nos jours, on ne sait jamais du temps qu'elle va durer. 

2) Il y a des aiguilles douces et il y a des aiguilles vicieuses. À chacun de choisir celles qui lui conviennent, mais selon les milieux, notamment médicaux, on n'a pas toujours le choix. Par contre, son tatoueur, on peut le choisir. Pour ma part, ma tatoueuse était douce et elle connaissait son boulot. 

3) La douleur aux piqûres d'aiguilles dépendent de l'inclinaison de l'aiguille, mais aussi de la force envoyée pour piquer et de la pression exercée au piquage. Un professionnel qui a l'art de sa profession au bout des doigts sent/sait par empathie/ressenti/habitude, comment il doit piquer en fonction de la personne et de sa sensibilité.

Conclusion : Je suis satisfaite de mon nouveau tatouage ! Féminin, coloré, je porte le printemps sur moi ! Concernant le titre de cet article "les aiguilles du vice ou de la vertu". Le vice d'une aiguille trouve sa source dans l'intention que l'on y met : faire mal ou avoir mal mais sous une autre forme, pour se donner l'impression d'enlever un mal qui dérange. Je pense là aux toxicomanes qui se piquent pour se droguer. Les vertus des aiguilles, à l'opposé, se retrouvent dans les vaccins qui nous évitent de graves maladies, dans l'acuponcture qui soulage de certains maux ou pour des tatouages qui nous font nous sentir mieux dans notre peau. Il faut préciser cependant que toutes les douleurs ressenties par une aiguille médicale, d'acuponcture ou de tatoueur ne sont pas volontaires. Les infirmières ou les dentistes ne font pas forcément exprès de faire mal. Il y a des peaux plus fines, des peaux plus épaisses, plus ou moins souples et surtout plus sensibles. Ce qui me fait réaliser que la mienne a perdu de sa sensibilité puisque - et c'est un bien à ce sujet - je n'ai pas ressenti de douleurs lors de la séance de tatouage. J'ai eu peur un instant en le réalisant, car perdre sa sensibilité, c'est s'endurcir et si se forger une carapace pour ne plus sentir la souffrance est une chose, ne plus ressentir les émotions en seraient une autre, ce que je ne souhaite pas.

Cela m'amène à penser aux personnes qui à force de recevoir des coups deviennent violent à leur tour. La violence est une colère-riposte, une compensation de frustration. Le fait de ne plus ressentir la douleur les amène à ne plus la voir et/ou à ne plus l'entendre. Plus une personne souffre en profondeur, moins elle reconnait cette souffrance, en effet-miroir, de la même façon, sans doute, que les autres n'ont pas reconnu qu'elle souffrait.

L'arrestation de la souffrance, sa reconnaissance et la compensation psychologique et affective, sociale et familiale qui va avec aurait pu éviter que les personnes violentes soient incapables d'arrêter cette violence qu'ils produisent sur autrui et donc celle qu'autrui est en train de subir, parce que ne la voyant pas/plus et ne l'entendant pas/plus. L'insensibilité à la douleur peut devenir une insensibilité à la souffrance, envers la sienne et envers celle des autres, et c'est là que ça peut devenir dangereux en déclenchant des comportements violents. Être insensible à la douleur peut être pratique à certains moments, comme pour le temps d'une séance de tatouage, mais trop d'insensibilité doit alerter, car les risques sont de ne pas voir le danger pour soi, comme le fait de se bruler (ce qui peut être aussi une maladie, soit dit en passant !),  d'être attentif à ce qui pourrait causer des douleurs ou de ne pas voir le danger pour autrui, en se rendant compte qu'ils souffrent.