17- Le jardin des innocents

09/06/2023

Les bébés mort-nés de parents chrétiens et tous ceux qui n'avaient pas eu le temps d'être baptisés, étaient enterrés dans des rigoles tout autour de l'église, afin que la pluie du ciel, qui elle est toujours bénie, puisse bénir leurs cadavres et donner une chance à leur âme d'aller au paradis. 

Mais un autre problème majeur tuait les enfants rapidement après leur naissance, au moment du baptême, directement dans le bénitier. Croyant que le diable voulait empêcher ces âmes innocentes d'aller au paradis, les curés se dépêchaient dès qu'ils voyaient les bébés se mettre à gigoter dans tous les sens, ce qui était le signe de leur mort à venir. Quand la mort les emportait avant la fin du baptême, ils étaient alors mis dans ces galeries creusées contre le mur de l'église, tout autour d'elle, pour que leur corps baigne dans l'eau de pluie bénie des cieux. 

Je commence à comprendre d'où vient le mot baigneur...

Comme les enfants mourraient plus vite qu'ils ne se décomposaient, on retirait les os les plus vieux pour y mettre les corps les plus récents et leurs ossements étaient jetés dans le jardin juste à côté. 

La question est : Pourquoi les bébés mourraient-ils le jour de leur baptême ?

À cause d'un gaz qui sortait du bénitier. Si les enfants gigotaient tant, c'est parce qu'ils cherchaient l'oxygène, tout simplement. J'ai mis une semaine pour comprendre ce qu'il s'est réellement passé. Je me suis imaginé un gazoduc juste en dessous. J'ai pensé que le jour où ils ont foré un puit pour faire remonter l'eau, ils n'avaient pas dû se rendre compte qu'il y avait un trou de gaz au même endroit ? Je ne me sentais pas satisfaite par la réponse. En retournant dans le jardin, je fis une rencontre avec un couple où nous échangeâmes chacun des informations que l'autre n'avait pas. 

Le gaz humain

Combien de temps avant qu'ils ne comprennent que cela était dû à un gaz mortel ? Plusieurs années

À cette époque, vers l'an 1000, les morts étaient mis directement en terre. Et puis il y eut la chaux pour accélérer la décomposition. Pas de tombes, pas de cercueil, les gaz devaient fuiter des corps et former les fameux feux follets dont on a tant parlé dans les cimetières. L'eau du bénitier était contaminée par le méthane humain.

Il y eut le même genre de problèmes à Paris à la même époque sans doute, avant que l'on fasse le lien et que l'on trouve une solution. Au quartier des Halles de Paris se trouvait le cimetière dit des saints innocents, là où se situe la place de Joachim du Bellay avec en son centre "La fontaine des Innocents".

 

L'emplacement servait de cimetière depuis la période mérovingienne. Tout le monde trouvait sa place au cimetière, les riches comme les pauvres, mais les riches étaient placés au milieu et les plus riches avaient le droit à un sarcophage. Au bout d'un moment, comme on peut s'en douter, il fallut agrandir le cimetière, parce que, pour donner quelques chiffres à titre d'exemple, entre le moyen-âge et le XVIIIe siècle, il y eut les ossements de 22 paroisses + celles de l'hôtel-Dieu + les pestiférés de 1348 + les noyés de la Seine + les inconnus trouvés morts sur la voie publique, ce qui fait environ deux millions de cadavres, justes pour les Parisiens ! Il fallut agrandir le clos du mur de trois mètres de haut sous Philippe Auguste (1165-1223). Les fosses communes des pauvres, qui entouraient les riches cadavres de la place centrale, y superposaient 1500 corps. Quand il n'y avait plus de place, on creusait à côté. Avec les épidémies, il y eut tant de cadavres, qu'avec la chaux pour accélérer leur décomposition et la chaleur de tout cet amas de graisse, les corps se liquéfièrent trop vite et traversèrent les murs des caves. Des murs saignaient et transpiraient les corps liquéfiés des morts. Je suppose que les épidémies de morts au même titre que les bébés des bénitiers mourraient à cause des gaz humains. Pour ceux qui ne mourraient pas de leurs émanations, le gaz devait leur monter à la tête et faire d'eux des genres de drogués zombifiés par le traumatisme de voir autant de morts, de sentir autant d'odeurs pestilentielles, de vivre dans cet enfer de Dante, les poussant à se battre pour un bout de lumière au milieu des ténèbres, pour un bout de savon ou un bout de pain, un peu d'eau ou un coin frais. 

Guillaumot retrouve son fauteuil en 1795. Sous ses ordres seront effectuées des consolidations en dessous du Val-de-Grâce, de Vaugirard et de la rue Dareau dans le 14e arrondissement. Outre les anciennes techniques des carriers, il tentera quelques expériences, « comme ses ouvrages maçonnés reposant sur des séries d'arches surbaissées pour répartir les charges qu'on retrouvera par exemple dans le réseau du 15e Sud, et sur l'axe du chemin de fer, rue Saint-Gothard ». Guillaumot conservera son poste jusqu'à sa mort, en 1807. 
Dans l'Antiquité, les cimetières étaient construits en périphérie de la ville, selon un usage romain qui voulait que l'on éloigne les morts des vivants, mais la capitale s'agrandit sans cesse et finit par englober des cimetières jadis situés à la campagne. Cet agrandissement est également synonyme d'un accroissement de la population : au xviiie siècle, les quelque 200 cimetières de Paris ne suffisent plus à contenir les dépouilles. On a beau creuser de nouvelles fosses, on retombe sans cesse sur des fosses communes déjà pleines, et les dépouilles s'entassent à tel point qu'une odeur de putréfaction règne aux alentours des cimetières. Des puits sont touchés. Le problème n'est pourtant pas nouveau : dès 1554, un rapport pointait la malpropreté des cimetières parisiens, conclusions très largement corroborées par la Faculté de Médecine et les médecins de l'Académie royale des sciences. Dans les églises attenantes aux cimetières, on construit de nouveaux étages par-dessus les fosses, dans lesquelles on rajoute de nouveaux morts, au détriment de toute salubrité. 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Carri%C3%A8res_souterraines_de_Paris#cite_ref-17


Et puis il y eut le massacre de la Saint-Barthélemy et les guerres de religion. C'était trop. Trop de morts. Trop de poids.


Les morts sont lourds. 

Le 7 mai 1780, les murs de la cave d'un restaurateur situé près du cimetière des Innocents s'effondrent.

"Un jour, une des parois d'un charnier a cédé et un monceau de cadavres s'est déversé dans le cellier d'un restaurateur d'une rue voisine qui s'est retrouvé, un beau matin, avec des cadavres dans sa cave" détaille Priscille Lamure.

https://www.francebleu.fr/infos/insolite/le-cimetiere-des-saints-innocents-entre-femmes-emmurees-et-avalanches-de-cadavres-1622039511

Ce n'est pas une carrière, mais des ossements et des cadavres qui, par leur poids, ont fait céder la cloison. Le bâtiment est contaminé, les murs des étages les plus bas suintent littéralement : on rapporte même le cas d'un maçon qui, ayant simplement posé la main sur l'un des murs, contracta la gangrène quelques jours après. À la suite de cet incident, le Parlement décrète, le 4 septembre, la fermeture du cimetière. Décision qui restera sans effet, les corps continuant à être entassés dans un charnier déjà très excessivement rempli.

Le 9 novembre 1785, sur la suggestion d'un lieutenant de police, on décide de transférer les restes secs (c'est-à-dire les ossements) dans les anciennes carrières situées sous le lieu-dit de la Tombe-Issoire. Peu à peu, on décide de supprimer l'intégralité des petits cimetières de Paris, pour les remplacer par trois grands cimetières : ceux de Montparnasse, du Père-Lachaise et de Passy. Les ossements, eux, sont transférés dans les carrières.

« Des convois de chariots drapés de noir vont former chaque soir des processions funéraires accompagnées de prêtres, de chants des morts et traverser Paris pour y transférer les dépouilles accumulées pendant des siècles d'histoire. Et ainsi, de cimetière en cimetière, ces processions vont se répéter, et se répéter encore, de 1785 à 1814. Après quelques années, elles perdront le caractère sacré de ce dernier rituel consacré aux ancêtres des Parisiens assistant à ce spectacle stupéfiant, pour devenir une curiosité, puis finalement une routine. Les ossements seront déversés dans des puits, charriés à la pelle, déplacés par des chariots de bois, puis entassés et classés par genre, pour être enfin empilés, et rangés. […] Plus de six millions de Parisiens seront ainsi transportés dans ce qui va devenir la plus grande nécropole du monde. »

À l'extérieur de la vieille porte de la ville de Paris, les squelettes et crânes bien rangés, presque de façon esthétiques, donnèrent ce qu'on appelle maintenant "la barrière des enfers".

J'ai entendu dire, là, en 2023, qu'ils envisagent de reconstruire le cimetière de Paris. 

L'histoire n'a-t-elle donc pas servi de leçon ?