
79- Le kanôn de la serrure

J'ai découvert l'origine du compliment trompeur, souvent adressé aux femmes : « tu es canon ». Ce compliment sous-entendait initialement qu'une femme correspondait physiquement à un homme, comme si la serrure de son intimité était compatible avec la clé de sa propre intimité.
Il y a des compliments qui se questionnent :
Origine de l'expression "être canon"
L'inconscient collectif peut parfois véhiculer des symboles qu'il ne comprend pas lui-même. Derrière une phrase légère se cachent des intuitions sur le corps, le désir, mais aussi la place de la femme dans le regard de l'homme.
"Etre canon" signifie aujourd'hui être très séduisant ou d'une beauté remarquable.
1) Le canon d'artillerie en tant qu'intensificateur
Selon l'hypothèse où le sexe masculin est considéré comme un canon par l'homme, il espère tirer son coup avec une arme qui peut lui procurer une explosion de plaisir… Par conséquent, l'homme percevrait son sexe comme une arme puissante et imposante, non seulement par sa taille et sa force, mais aussi par sa capacité de destruction. Le terme aurait alors évolué pour désigner une beauté « percutante », « exceptionnelle ». Il se serait ensuite transformé en un adjectif courant dans le langage familier.
2) Le Kanôn de la beauté
Il y a une origine plus noble au mot « canon » : le mot grec « kanôn », qui signifie « règle », « norme », « protocole » et le fameux « canon de la beauté », une théorie esthétique développée par le sculpteur grec Polyclète (poly - clé ?) au Ve siècle avant notre ère. Selon cette théorie, les proportions mathématiques parfaites permettent de représenter la beauté idéale du corps humain. Les écrits d'auteurs anciens, tels que Galien et Léonard de Vinci, ont mis en évidence l'importance de l'œuvre de l'auteur. En effet, Galien a souligné que la beauté du corps dépend de l'équilibre harmonieux entre ses différentes parties, tandis que Léonard de Vinci a développé sa propre théorie des proportions humaines, basée sur le nombre d'or, dans l'Homme de Vitruve.
3) Projection de l'autre dans l'objet
L'assemblage du verrou et de la clef constitue une représentation iconique. Le mot « canon » évoque la conformité à un idéal esthétique : il exprime l'adhésion à une harmonie entre le sujet et la norme esthétique. On constate un ancrage symbolique dans deux points de vue différents, mais complémentaires, qui considèrent autrui soit comme une source de puissance, soit comme un exemple conforme à l'idéal masculin. Derrière le compliment "tu es canon", l'autre est vu comme une arme de frappe visuelle, ce qui reflète le rapport au corps, au désir ou même à la norme collective.
Autres compliments porteurs de sens, de norme ou de rapport au pouvoir
1) "Tu ne fais pas ton âge"
C'est une flatterie sur la jeunesse apparente qui implique que l'âge réel est un défaut à gommer, donc que la valeur est liée à la jeunesse.
2) "T'es une fille pas comme els autres"
C'est un compliment sur l'originalité qui sous-entend qu'il existe un stéréotype féminin dont il faut se distinguer pour avoir plus de valeur.
3) "Tu es une femme forte"
C'est une reconnaissance de résilience et de caractère, mais aussi un moyen implicite de normaliser les épreuves subies, comme si la force venait d'une obligation de survivre à la difficulté.
4) "Tu es si belle au naturel"
C'est une valorisation d'une beauté authentique, mais qui suppose un modèle "pur" de beauté à atteindre et que l'artifice est en général moins légitime. Ou comment chercher à culpabiliser une femme qui se maquille...
5) "Pour une femme, tu es doué dans..."
Une reconnaissance de compétence, mais un biais sexiste qui compare la personne à une norme masculine supposée être la référence.
Le canon d'une serrure
Le "canon" d'une serrure est sa pièce centrale, utilisée uniquement de manière mécanique et ancienne, sans lien avec la métaphore sexuelle. La coïncidence linguistique de son double-sens a donné lieu à un détournement créatif.
Dans le vocabulaire de la serrurerie, le canon est la partie mobile (appelée aussi barillet ou cylindre) où l'on introduit la clé. Canon vient du latin "canna" qui au tout début désignait un roseau, puis un tube.
C'est à l'époque médiévale, que le mot a pris le sens d'une pièce tubulaire comme dans le "canon d'une arme à feu".
Dans une serrure, le canon est une petite pièce percé qui tourne quand la clé correcte est insérée, libérant le mécanisme.
Si l'emploi dans la serrurerie est neutre, son association à l'arme (canon de fusil) et à l'idée d'un tube récepteur a ouvert un terrain fertile pour des lectures sexuelles ou métaphoriques.
Le tubulaire + une clé est une métaphore de pénétration et de comptabilité mécanique. Le canon dans sa puissance résonne avec la virilité, la force et son impact. Quant au compliment "tu es canon", par le mélange des deux sens - norme esthétique antique et arme à feu - il est facile d'y projeter l'idée d'une arme de séduction massive.

Compatibilité profonde
Toutes les serrures ne s'ouvrent pas avec toutes les clés et toutes les clés ne sont pas faites pour toutes les serrures. Ce n'est pas une question de valeur, mais d'ajustement.
Une serrure n'est pas verrouillée d'office. En revanche, la porte intime d'une femme reste fermée tant que son hymen est intact ou que la clé appropriée n'est pas devant elle…
Une clé inadaptée peut causer des dommages irréparables, même si l'intention est pure.
C'est pourquoi une clé parfaitement adaptée n'aura jamais besoin de force pour être insérée. Elle se synchronisera avec le mécanisme intérieur de la serrure et de la porte, ce qui permettra à ces derniers de fonctionner en synergie. C'est précisément ce type de clé qui permet de créer un sentiment profond d'intimité, en glissant subtilement dans la serrure sans avoir recours à la force.

Responsabilité de la clé
Ce n'est pas parce qu'une clé existe qu'elle doit tester toutes les serrures.
Une serrure n'est pas précieuse parce qu'une clé l'ouvre, mais parce qu'elle protège ce qu'elle renferme.
Philosophiquement, la clé ramène au consentement, à la compatibilité émotionnelle et à la réciprocité.
Trouver la bonne clé ou la bonne serrure est un geste de soin et de compréhension, pas de conquête.

L'idée de rédiger cet article m'est venue quand la clé de ma porte d'entrée a cessé de fonctionner. La serrure semblait être endommagée, car la clé ne tournait plus, que ce soit pour ouvrir ou fermer la porte, comme si elle était bloquée entre deux états. Je pense que lorsqu'une serrure est trop endommagée, les clés les plus parfaites peuvent se révéler impuissantes (comme un double), quand ça ne fonctionne plus, ça ne fonctionne plus. Malheureusement, cela peut constituer une porte d'entrée pour les intrusions, ce qui pourrait endommager la porte elle-même, menaçant ainsi la sécurité de la maison.
Et puis, ô miracle, quelqu'un peut arriver et réparer la serrure brouillée avec un dégrippant ou la remplacer par une nouvelle serrure dotée d'un meilleur système de sécurité, tout cela sans forcer l'ouverture ni essayer d'y introduire sa propre clé.
Pour ceux qui envisagent de continuer malgré tout, n'oubliez pas qu'il existe une pièce appelée « demi-tour » dans chaque serrure.